Ce que je cherche, au-delà du travail sur la peau, c’est cette lumière qui vient de l’intérieur. C’est précisément cette recherche que poursuit Bettina Rheims dans toutes ses séries de portraits et qui s’exprime plus que jamais dans ce nouveau travail. Les 23 portraits réalisés en 2005 et exposés à la galerie du 17 mars au 11 mai, sont ceux de 23 femmes à la beauté décalée, photographiées dans un décor très sobre, avec pour seul relief un caillou sur lequel les modèles ont dû composer à la demande de l’artiste : c’est votre caillou, c’est tout ce qu’il vous reste au monde…
Cette nouvelle série marque l’aboutissement d’un désir profond de l’artiste, celui d’établir un rapport à la sculpture dans sa création photographique, comme si tout à coup les modèles pouvaient se visualiser en 3D. Bettina Rheims a voulu transcrire dans cette nouvelle série le jaillissement des marbres antiques ou des bronzes de Rodin, où les corps semblent jaillir de la pierre. Un décor avait été installé au studio avec, comme point de départ, une photo de l’atelier de Giacometti, mur et sol gris, des coulées de plâtre, couleur de craie. Et puis on a construit un gros caillou. Une sorte de socle qui tournerait à volonté pour que ces femmes-là ne touchent pas le sol, qu’elles jaillissent de la pierre ou qu’elles se fondent dedans. L’artiste offre à ses modèles un caillou, comme si elle voulait offrir un piédestal à leur charisme.
Si le rapport à la sculpture s’affirme ainsi de manière évidente dans la présence du caillou, il se trouve aussi dans la manière dont les femmes photographiées sont enveloppées dans le vêtement, moulées dedans. Bettina Rheims a souhaité faire habiller ces femmes par un créateur, son ami Jean Colonna. Ils utilisèrent des robes de haute couture, prêtées à cette occasion par une grande maison et choisies spécifiquement pour chacune de ces femmes. Ces modèles, malmenés par le temps, ont été ré-assemblés par Jean Colonna, leur redonnant ainsi une nouvelle vie. Il ne s’agit pas ici de montrer une sexualité crue, comme dans la photographie de nu où sexe et seins sont montrés ostensiblement pour leur valeur érotique, mais d’une sexualité qui, à travers le tissu, dévoile la nudité de l’âme.
Bettina Rheims nous renvoie ici à la symbolique de la peau dans l’histoire de l’art : une évocation tout à la fois de l’origine des gens, de leur âge, de leur condition et de leur statut. C’est en pensant aux corps peints, salis et torturés, d’Egon Schiele, de Lucian Freud et des expressionnistes allemands qu’elle a demandé aux maquilleuses ce rendu particulier des peaux saturées du bleu des veines et des rougeurs du froid, et les yeux souvent charbonneux et plâtrés de couleurs vives.
La photographe choisit en effet de nous offrir des portraits « décalés » de ces femmes habituellement représentées comme les plus belles femmes du monde, qu’elles se nomment Milla Jovovitch, Asia Argento, Laetizia Venezia…Les « héroïnes » de Bettina Rheims sont à l’opposé des clichés des magazines de mode ; elles nous offrent une beauté venue de l’intérieur, née de leur charisme, qui se dévoile dans leur abandon sur le caillou. En tant qu’artiste, Bettina Rheims porte au travers de cette série un regard d’analyste sur le milieu de la photographie de mode, révélatrice d’une personnalité, initiatrice d’un « au-delà » de la mode.
Pour cette série, Bettina Rheims a utilisé une chambre photographique où la prise de vue se déclenche avec une poire, où donc le « moment décisif » se fait les yeux dans les yeux. L’artiste a pu ainsi accéder à une intimité plus grande que jamais dans sa relation avec le modèle, à un rapport d’une intensité, d’une émotion jamais égalées auparavant.
Héroïnes est sans aucun doute la création la plus complexe que Bettina Rheims ait réalisée, tant elle englobe dans chacun de ces 23 portraits une multitude de regards croisés, de réflexions sur le positionnement de la femme dans notre monde d’aujourd’hui, sur lequel elle pose une nouvelle fois son regard révélateur.
CATALOGUE édité par la galerie à l’occasion de cette exposition, avec un texte bilingue français/anglais de Catherine Millet. Toutes oeuvres reproduites en pleine page couleur. Edition limitée à 2000 exemplaires.
Disponible à partir du 17 mars, au prix de 50 € TTC.
CONTACT PRESSE : Emmanuelle de Noirmont
Tél : +33 (0)1.42.89.89.00 / Fax : +33 (0)1.42.89.89.03 / E-mail : info@denoirmont.com
VISUELS : 300 dpi disponibles. Codes d’accès sur demande.